Au fond de la fosse

Ses yeux bleus claires me fixent sous ses mèches brunes frisées et mouillées par la sueur. Visiblement, il ne comprend pas ce que je lui veux. Je crie plus forts pour surpasser le bruit assourdissant du séchoir qui vrombit et résonne dans cette cage de béton « AVEZ VOUS ASSEZ D’EAU ? ». Nouveau regard désorienté. « JE SUIS DU SYNDICAT ; C’EST UN CONTRÔLE ! ». Son regard bleu s’illumine soudain. Sans lâcher la malaxeuse vibrante qui mélange sa peinture, il me fait un oui de la tête. « IL FAIT CHAUD ICI… ». Remarques stupides de ma part. Quand je suis entré, juste après l’odeur entêtante d’ammoniaque qui pique la gorge, j’ai été écrasé par la chaleur étouffante de la pièce. Afin de mieux supporter le travail dans ce four, il a rabattu sa combinaison et dévoiler son buste. Sur ses muscles noueux, sur ses courbes élancées, des centaines de goutes de transpirations perles sans couler. Elles semblent s’agripper à sa peau, ou sa peau s’agrippe à la moindre goutte d’eau pour se sauver. Son collègue, plus en retrait, à carrément mit un bandeau en linge pour empêcher sa sueur de l’aveugler. Tout au fond de la galerie qui se trouve tout au fond de la fosse, les damnés de la terre ne piochent plus ; ils peignent !

Je poursuis mon interrogatoire : ont-ils suffisamment de pauses ? Sortent-ils de cette fournaise ? Sont-ils en sécurités ? Les réponses sont toutes positives. Ils m’assurent que s’ils se sentent verser, ils se prennent de plus longues pauses. Entre les vapeurs chimiques, la chaleur et le bruit, je gage que cela arrive plusieurs fois par jour. Je leurs dis qu’il vaut mieux faire les pauses plus vites, avant les symptômes. Et, il n’y a rien de plus à faire. Leur chef, avec la meilleure attention du monde, a pris toutes les mesures possibles. Mais les mesures possibles dans ce monde sont faibles. Il y a des délais à tenir, des biens à livrer, une productivité à assurer, une rentabilité à garantir. Jamais le travail ne doit stopper. The show must go on ! Même si les acteurs n’en peuvent plus, même si le metteur en scène le veut plus. S’il le faut, ils seront remplacés, et d’autres reprendrons la partition juste ou elle a été abandonnée.

Etienne Lantier

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