Mac O’Leonne buvait tranquillement un verre de blanc chez elle. Elle avait passé la journée à «former ses chaussures de mariage» : une activité qui se résume à
- Acheter des chaussures trop chères avec des talons trop hauts
- Les ré-essayer à la maison et se dire qu’elles sont trop chères et que les talons sont trop hauts
- Faire le ménage, aller au composte, se balader dans l’appartement avec lesdites chaussures dans l’espoir qu’elles prennent miraculeusement la forme du pied afin de pouvoir danser toute la nuit à la santé de personnes se payant un égo-tripe à 20’000 balles.
Bref Mac O’Leonne soignait seule sa rancœur du monde, cloque aux pieds, verre à pied dans une main et écran dans l’autre, quand elle tomba sur une information qui l’a fit sursauter: Yannick Buttet se lance dans l’immobilier. Sa société sera bientôt inscrite au registre du commerce. Si ces deux éléments séparés, Buttet-Immobilier, lui provoquent déjà un réflexe vomitif. Mis ensemble, elle décida que cela devait se transformer en réel exutoire dégoulinant et puant, c’était une question de vie ou de mort.
Pas qu’elle ne comprenne pas qu’une personne de son acabit se lance dans l’un des marchés les plus juteux actuellement. La question était plutôt: pourquoi ce marché est-il toujours aussi juteux actuellement? En proie à ses questions, elle appela son amie Léa Borieuse qui ne fut pas rassurante.
-De nombreux petits propriétaires jettent l’éponge, commença Léa. En 20 ans, la proportion de particuliers ayant revendu leur maison familiale a fortement augmenté. Aujourd’hui, selon l’office fédéral de la statistique, 47% des Suisses sont propriétaires. Il y a une génération, ils étaient 57%.
-Ce n’est pas inquiétant en soit, rétorqua Mac O’Leonne.
-Non. Sauf que cela profite aux sociétés immobilières, comme celles du genre de notre ami Buttet. Il n’y a rien de social dans cette affaire. Il y a eu un réel boom du secteur ces dernières années. Entre 2000 et 2017, la part de logements loués par des sociétés immobilières est passée de 29% à 39%. En gros, cela fait quelque 300’000 appartements de plus.
-Et du coup, ce sont qui les nouveaux propriétaires? Des fils de frotteurs?
-Appelons-les comme ça. Dans tous les cas, des personnes qui voient le logement comme une manière de faire du profit. Parce qu’on ne parle ici évidemment pas de collectivités publiques. Il s’agit surtout de compagnie d’assurances: Swiss Lige ou la Zurich. Il y a également des groupes bancaires: UBS, Credit Suisse, etc. pour les plus gros. Ou alors des caisses de pension: Pensimo, BVK ou celle de la Migros. Il a également des sociétés anonymes. On n’est évidemment pas dans de la philanthropie, tu peux bien te l’imaginer.
La rue en bas de chez Mac O’Leonne s’anima tout à coup. La pluie s’était mise à tomber dru. Tout le monde rentrait dans les bâtiments dans des bruits de chaises et de verres entrechoqués.
-Si tu veux une comparaison pour te rendre compte de la puissance de ces entreprises, je t’offre quelques comparaisons, détailla Léa Borieuse. UBS par exemple, possède l’équivalent de la dixième ville de Suisse, c’est-à-dire Bienne. L’assurance Swiss Life, elle, détient deux fois la ville de Sion. En conclusion, avoir un parc immobilier suffisamment grand permet de ne plus avoir peur de grand-chose. Alors la solution serait certainement de créer des coopératives ou que chacun ait des droits sur le toit qui l’abrite de la pluie.
-Heureusement, il y a des associations qui se sont mises à se battre pour les droits des locataires… Je pense évidemment à l’ASLOCA et d’autres. C’est évident que contre des acteurs qui possèdent l’équivalent de deux fois une capitale cantonale, les particuliers n’ont aucune chance…
-Les associations de protection des locataires ont évidemment un rôle à jouer. L’expression est nulle, mais dans ce genre de cas, c’est David contre Goliath. Et pardon, David ne gagne que dans les légendes. Du coup ces organisations doivent montrer les dents. Elles doivent être sans pitié. C’est important.
-C’est même vital! s’exclama la conquérante Mac O’Leonne.
-Oui, mais c’est aussi destructeur. En tant que locataire, on ne sait jamais si l’on se trouve face à un monstre immobilier, ou à des particuliers qui n’ont rien demandé. En réalité, le marché est tellement déséquilibré que l’on se retrouve non pas dans une situation locataires-propriétaires. Mais dans un triangle de désamour, voire de haine entre locataires-petits propriétaires-spéculateurs immobiliers. La baisse de 57% à 47% de propriétaires familiaux en 20 ans, elle ne sort pas de nul-part. Car lorsque l’on acquiert une maison, il faut la maintenir en ordre, dans les normes. Il faut donc généralement emprunter. Et vers qui on se retrouve pour faire un crédit en tant que particuliers? Les banques. Pour accepter un prêt, elles analysent la situation, de cela découle des hypothèques et bien sûr pour rembourser tout ça, il y a des intérêts hypothécaires. Actuellement, ils sont plutôt bas, heureusement. A mon avis, à la prochaine flambée, bon nombre de petits propriétaires n’auront plus les moyens de payer leurs dettes. Dans tous les cas, pour s’assurer d’un remboursement, les banques demandent des valeurs locatives – en gros le montant des loyers accumulés – correspondant à la prise de risque liée au prêt. C’est souvent assez haut. Alors les petits propriétaires fixent leurs loyers en fonction. On croit qu’ils mettent un pris à leur guise. Mais c’est faux.
-Est-ce qu’ils sont concurrentiels face au marché?
-Franchement pas sûr, non… se désola Léa Borieuse. Et c’est là, où les rapports sont totalement biaisés. Les petits propriétaires ne peuvent même plus faire des prix qui correspondent à leurs valeurs sociales. Ils obéissent à une loi bancaire. Et de source sure, leurs capitaux en cas de coup dur ne sont pas élevés. C’est la merde pour tout le monde. Sauf pour les professionnels de l’immobilier dont Yannick Buttet fait désormais partie.
La discussion s’arrêta là. Mac O’Léonne tenta de comprendre la finalité de l’histoire. Dans cette combine, si les seuls gagnants sont les entreprises qui gèrent les logements sans une philosophie de bien vital, le marché ne pourra que se déséquilibrer de plus en plus. La pression sur les locataires fera plier les petits propriétaires qui ne souhaitent qu’offrir un toit et non s’enrichir. Les gagnants seront les gros.
La déduction finale est simple: si des personnages, tel que Yannick Buttet trouve encore de l’intérêt à lancer des sociétés immobilières alors que les plus petits jettent l’éponge, c’est qu’il a matière à perpétuer ce harcèlement locataire.
Mac O’Leonne finit son verre de vin et enleva ses talons. Tout n’était que brume autour de son système cognitif. Mais elle savait d’ores et déjà qu’elle se réveillerait en gueule de bois. Comme tous les matins. Chasselas ou pas.
Une collaboration Mac O’Leonne et Léa Borieuse