J’avais décidé de lire « Roman de gare » grâce ou à cause d’un article lu dans le Matin Dimanche. Le journaliste, Michel Audétat y écrivait que « Jean-Pierre Rochat, [c’était] une petite musique qu’on reconnaît dès les premières lignes. Une écriture chantonnée à voix basse, intime, un peu rugueuse, qui a sa manière bien à elle d’être à la fois désespérée et drôle. »
Ça m’avait plu comme description. Jean-Pierre Rochat, un écrivain paysan, ou un paysan écrivain. Ça claque. Tout comme ce lettreux du Matin Dimanche, j’avais trouvé ça exotique. Un péyoutze qui écrit des bouquins, ça a de quoi donner envie de découvrir. Une vision de petite conne élitiste sans doute.
Hé bien à la place que l’on me chuchote une agréable petite chanson, j’ai juste eu l’impression d’être confrontée aux fantasmes dépressifs d’un vieux dégueulasse.
L’histoire, c’est celle d’un paysan qui perd tout et qui a des envies suicidaires. Jusque-là, intéressant. Il tombe amoureux d’une meuf et ça le sauve. Allé, va, c’est un peu nunuche, mais c’est prometteur. Sauf que… sa vision de cette femme est tout bonnement crade. Alors, oui, Jean-Pierre, il a bien le droit d’avoir une sexualité à 65 berges. Admettons que mon rejet de prime abord soit simplement lié au même réflexe que l’on peut avoir lorsque l’on s’imagine nos parents faire l’amour, là, c’est bien au-delà. Lire un sale barbu SDF parler du petit cul moulé de sa nana, ça me donne tout bonnement envie de vomir. Mon corps révulse. Littéralement.
Je vous offre quelques exemples : le héros de « Roman de gare » a mal à la bite parce qu’il a eu une longue nuit d’amour avec sa Marianne et qu’il adorerait qu’elle lui enduise la verge de graisse à traire…. (c’est écrit comme ça), moi je ne peux pas. Déchiffrer avec peine des « tu m’as séduit », « tu m’as envoutée avec ton corps » comme si c’était une petite pècheresse… je n’y tiens pas. D’autant qu’il dit « évoquer son âme alors que [ses] yeux sont rivés sur l’un de [ses] atouts de séductions » : cette gonzesse est-elle seulement un bout de bidoche ? Dans son article, Michel Audétat écrit: « le narrateur est un gros sentimental qui se sent parfois embarrassé de l’être autant ». Sentimental, vraiment ? Embarrassé ? Laisse-moi rire.
« Elle m’apporte le petit-déjeuner les fesses à l’air, à rendre jaloux le monde entier :
la plus belle femme du monde vient me servir au lit en tenue d’Eve »
Vous me direz.. mais pourquoi as-tu diable terminé ce bouquin ? Je répondrais en deux arguments. Le premier est tout simplement que l’ouvrage fait 78 pages. Avec un peu d’entrainement, en 45 minutes, c’est une affaire pliée. Deuxième raison : j’ai très vite trouvé que ce serait vraiment super d’en écrire une chronique pour Crop Top Nœud Pap’… et comme j’ai une once de professionnalisme, je me suis dit que dégueuler sur un bouquin sans l’avoir même fini, ce serait nul.
Alors, je l’ai terminé et ça m’a fait me poser quelques questions : est-ce qu’ une femme de 60 balais aurait la même réaction que moi? Est-ce que ces spasmes de dégoût sont provoqués par le fait que je suis une jeune personne ? Que ces regards je les ai reçus, contre mon gré ? D’un oncle ou un beau père qui a l’œil qui dérape tout à coup ? Est-ce que je serai capable de lire un livre érotique écrit par un boomer ? avec les visions d’un boomer ? Est-ce que je suis devenue une féministe ultra-sensible qui ne peut plus dissocier la photo de l’écrivain qui trône en première page comme c’est le cas dans ce présent exemple… et le récit ? Je ne répondrai qu’à cette dernière question par un : oui, peut-être, mais il faudrait que ce soit rédigé avec un poil de finesse. Du moins, j’espère que je pourrais.
Car je n’ai pas envie de devenir une personne qui frémit à chaque fois qu’elle est confrontée à une vision du monde qui n’est pas la sienne. Je veux pouvoir lire des textes qui me font dire : « Ok, ce type à des valeurs auxquelles je n’adhère pas, mais c’est également important de voir que cela existe. » J’aimerais pouvoir être un peu plus détachée. Ne pas avoir l’impression que lorsque le héros de Jean-Pierre Rochat mate le galbe de son amante, c’est mon cul qu’il reluque. Ne pas avoir l’impression que ce vieux barbu aux mains qui puent la vieille pipe effleurent mes propres tétons lorsqu’il cajole sa Marianne (tout à fait consentent au demeurant).
Qui a tore dans cette histoire ? Lui d’avoir une vision rétrograde de la relation amoureuse et charnelle ? Moi, de prendre ses caresses contre moi, contre mes valeurs, contre mes combats ?
Cher Jean-Pierre, peut-être un jour nous rencontrerons-nous. J’espère te trouver sympa et ne pas avoir les flash de ton récit collé au front. J’espère pouvoir accepter que tu es un vieux dégueulasse sans te réduire à cela, tout comme, ce jour-là du moins, tu feras l’effort de ne pas me réduire à mon enveloppe de chair. Salutations.
Léa Borieuse