Vous ne pouvez certainement pas l’ignorer, la Zad de la colline[1] a été évacuée. Une évacuation qui nous a permis de découvrir que la police cantonale vaudoise disposait d’un service de rédaction plus important que Tamedia. Vidéos live, interviews de personnalités, commentaires sur le déroulement de l’évacuation, le compte twitter des forces de l’ordre n’avait rien à envier à celui de 24 heures. Si en premier lieu ce dispositif de communication conséquent de la part de la police peut surprendre, il découle en fait d’une logique implacable. La police et le Conseil d’État avaient des objectifs clairs : appliquer l’ordre d’évacuation de la Zad sans créer une image de violence et d’injustice qui aurait nuit à la Conseillère d’État en charge de la police et aux forces de l’ordre. De ces objectifs a découlé une stratégie d’évacuation de la Zad, mais aussi de maitrise de l’information et des images de l’évacuation. Ensuite, les outils nécessaires à l’application de cette stratégie ont été mis en place. De cette logique implacable découle la vidéo hallucinante[2], sur le compte twitter de la police, de cet agent utilisant un enregistrement à la tonalité la plus neutre possible pour annoncer aux zadistes que l’évacuation sera effectuée dans le respect de la loi, mais sans apriori concernant la cause défendue par ceux-ci. La situation peut de prime abord paraitre ubuesque, mais en réalité la police vaudoise a magnifiquement atteint ses objectifs. L’évacuation de la Zad a eu lieu et le public ne perçoit pas cela comme un acte de violence de l’État. Ce qu’elle est, pourtant, de facto.
Et ce n’était pas gagné d’avance pour les autorités. En effet, une grande partie de la sympathie et de l’attachement dont bénéficiaient les zadistes découlait de l’effet David contre Goliath. On ne peut que soutenir ces jeunes pleins de vie et d’idéaux, relativement pacifiques et déterminés, face à une multinationale toute puissante, sa sécurité privée et le bras armé de la violence d’État. Des jeunes qui depuis les grèves pour le climat disposent en plus d’une solide base de sympathisants et d’une bonne connaissance en communication. En résulte que ces zadistes ont déployé, une stratégie qui s’articule autour d’une image de militant.e.s sacrifiant leur jeunesse pour une cause juste face au bulldozer, parfois littéraux, de la répression d’État[3]. Je suis persuadé que cette stratégie a été déployée presque inconsciemment, par habitude et par identification à cette image des groupes dont les zadistes sont issus ou ont fréquenté, comme par exemple XR. Et c’est là que les ennuis commencent. Car la confrontation de deux groupes organisés est une dialectique où chaque groupe prépare sa stratégie en fonction de ses objectifs et en réponses à ceux de son adversaire. Ne pas être conscient que l’on utilise une stratégie, c’est ne pas non plus appréhender les moments où il est nécessaire d’en changer. Ainsi, tout était en place pour que le moindre blessé, la moindre image choc de manifestant en sang, fasse tomber des têtes chez les politiques et décrédibilise les institutions d’État. Mais cela n’est pas arrivé. Car les autorités et la police avaient bien compris lors des précédentes manifestations l’objectif des militants. Elles ont donc adapté leur stratégie à l’apparente stratégie des manifestants.
Ainsi, les appels à la démission de la Conseillère d’État en charge de la police[4] qui ont suivi l’évacuation, suite logique de la stratégie des occupants de la colline du Mormont, sont rapidement tombé à l’eau. Le public et même une partie du monde politique sensible à la cause des militant.e.s ne comprenaient pas pourquoi l’on réclamait la tête d’une personne qui avait juste fait son boulot. Les juges et la démocratie avaient tranché, les occupants devaient partir, même si leur cause est juste. L’intervention paraissait proportionnée et légitime bien que regrettable. Et pour une écrasante majorité, les institutions n’avaient en rien fauté. Le constat que la police avait, par sa communication massive, gagnée la bataille de la propagande et donc la bataille de l’opinion public pouvait se faire le jour même. Pourtant, nombreux sont les groupes qui ont poursuivi dans la stratégie de l’appel à la démission, malgré son échec programmé. La question centrale est donc de savoir pourquoi.
Comme déjà dit, la confrontation entre deux groupes induit un rapport dialectique dans lequel les groupes s’organisent et planifient leurs stratégies en fonction du groupe opposé. Comme dans un dialogue, on se répond en fonction des mots et tonalités de l’autre. Et, sans surprise, la méthode la plus efficace est de bien connaitre son adversaire, mais aussi, et peut-être surtout, bien connaitre son propre groupe. Et c’est sans doute ce point qui est le plus difficile à réaliser, car il demande d’affronter dans une lumière crue des vérités peu agréables. Il faut nous dépouiller des artifices de gloire et d’honneur que l’on s’attribue comme groupe pour se motiver et se justifier dans les sacrifices à la cause. Il faut retirer l’étiquette de monstre que l’on a accolé à son adversaire afin de motiver ses actes. Tout cela afin de dévoiler la mécanique froide de la confrontation des groupes et le rapport de force qui détermine qui sortira victorieux. Une fois ce rapport de force déterminé, et nos limites acceptées, il faut fixer les objectifs atteignables et nécessaires à la cause. Ils sont parfois décevant en comparaison des rêves qui ont, en premier lieu, poussé des millitant.e.s à rejoindre une cause. Mais chaque affrontement ne peut pas être la lutte finale et les objectifs doivent être à la hauteur de l’affrontement prévu tout en tenant compte de ce que l’adversaire cherchera à atteindre. Car de ces objectifs découlent ensuite la stratégie nécessaire pour les atteindre et les obstacles que l’adversaire peut dresser pour la stopper. L’erreur est de dresser la stratégie avant d’avoir fixer des objectifs clairs, atteignables et tenant compte de ce que veut l’adversaire.
Une erreur que les zadistes semblent avoir commise tant l’image du David contre Goliath est devenu une identité plus qu’une stratégie. L’affrontement du petit mais juste contre le grand mais injuste était devenu une posture nécessaire à l’existence du groupe et à son identité. Les militant.e.s n’utilisaient pas l’image de David contre Goliath, ils étaient David contre un Goliath. Ainsi, quand la police vaudoise a adapté sa stratégie pour ne surtout pas être le Goliath aux yeux du public, les occupants du Mormont se sont retrouvés avec une stratégie inutilisable et, par l’identification exacerbée à une image, incapable d’en changer. En résultat des dénonciations, postures et appels à la démission inefficaces et parfois contreproductifs puis un silence assourdissant. Et faute d’un Goliath, la parenthèse de la première Zad de Suisse est refermée brutalement.
Quand bien même une cause est juste, quand bien même ses militant.e.s sont déterminés, quand bien même l’ennemi est immoral, c’est tout de même la stratégie la plus efficace qui détermine le résultat de l’affrontement. D’autant plus quand, comme dans le cas de la colline, les forces en présences sont si inégales. La police vaudoise a appris sa leçon et adapté sa stratégie. Au tour des militant.e.s maintenant de faire de même. Dans un dialogue long et arasant, jusqu’à la victoire définitive de l’un des belligérants.
Maximilien Marxien
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/ZAD_de_la_colline_du_Mormont
[2] https://twitter.com/Policevaudoise/status/1376772213341351940
[3] https://fb.watch/4-SF77K5nr/
[4] https://www.lematin.ch/story/les-zadistes-demandent-la-demission-de-beatrice-metraux-740364996589
Commentaires
Ton commentaire on s’en fout. T’as un avis? Écris un article et soumet le à redaction@croptop-noeudpap.media